Chapitre 7: Le Remuage et le Dégorgement
7.1 Avant le Dégorgement
Fin du Vieillissement sur Lies : Avant le dégorgement, le Champagne a terminé son vieillissement sur lies, une période pendant laquelle il développe ses arômes complexes. Les lies sont constituées des levures qui se sont démultipliées dans la bouteille. À l’issue de la prise de mousse, les levures meurent et s’autolysent, c’est-à-dire qu’elles se détruisent elles-mêmes. De cette destruction vont se libérer des molécules, qui vont interagir avec celles du vin et subir de lentes transformations. En parallèle, une infime quantité d’oxygène pénètre dans la bouteille, tandis qu’un peu de gaz carbonique s’en échappe. Ce phénomène va générer une lente oxydation du vin et ainsi faire évoluer ses caractéristiques. La maturation sur lies conjugue donc ces deux actions, autolyse des levures d’une part, oxydation lente d’autre part, qui vont tous deux continuer de façonner le style du vin pour y apporter des arômes de maturité et de plénitude, dits tertiaires. Pour pouvoir être appelé Champagne, le vin doit rester au moins 15 mois en caves. Cette durée est portée à 3 ans pour les millésimes. Ce délai légal, déjà important par rapport aux autres vins effervescents, est dans les faits presque toujours plus long en Champagne : en moyenne deux à trois ans pour les non millésimés classés « Cru » et au moins 5 ans (jusqu’à 15 ans !) pour les cuvées de type « Premier Cru » et « Grand Cru ».
Préparation au Remuage : Le remuage commence par l’inclinaison progressive des bouteilles, soit manuellement sur des pupitres en bois, soit automatiquement dans des gyropalettes. Le but est d’amener les lies vers le col de la bouteille. Cette étape peut durer plusieurs semaines et nécessite une précision et une attention méticuleuses. Le caviste, chargé de cette manipulation, dit aussi remueur, donne un coup de poignet, afin de décoller le dépôt du verre et faciliter le glissement vers le col. Le vin devant être parfaitement limpide au début de tout remuage, on le laisse ensuite reposer deux à trois semaines. En les tenant par le fond, le caviste imprime aux bouteilles un mouvement bref et sec de rotation sur elles-mêmes de 1/8 e, 1/6 e, ou 1/4 de tour, tantôt à gauche tantôt à droite. Il s’agit de décoller le dépôt alourdi par les adjuvants de remuage de la paroi du verre et favoriser son déplacement vers le col, sans le remettre en suspension. Au fil des semaines, il les redresse peu à peu, pour les amener à la verticale, tête en bas, dans la position dite sur pointe. Ces mouvements longs et laborieux sont nécessaires, car le dépôt n’est pas homogène, mais constitué par plusieurs strates de levures et de précipités chimiques.
7.2 Le Processus de Dégorgement
Congélation du Col de la Bouteille : Une fois les lies accumulées dans le col, ce dernier est congelé pour former un bouchon de glace contenant les résidus. Pour cela, le col de la bouteille est plongé dans un bac réfrigérant de fluide caloporteur dont la température est de -27 °C. Un bouchon de glace se forme alors sur environ quatre centimètres, emprisonnant le dépôt.
Expulsion des Lies : La bouteille est ensuite débouchée, et la pression interne expulse le bouchon de glace, emportant avec lui les lies. Cette étape est cruciale pour le vin, car c’est aussi la première fois après de longs mois que le vin va de nouveau entrer en contact avec l’extérieur. L’oxygène qui peut pénétrer dans la bouteille à cette occasion contribuera encore à faire évoluer les caractéristiques aromatiques du vin.
Dosage : Le dosage est une étape primordiale et cruciale de l’élaboration du champagne car elle définit le niveau de sucre et donc le style du Champagne, pourtant elle reste l’une des plus méconnues. Elle est la dernière opération menée par le vigneron ou le chef de cave. Après avoir passées un minimum de 15 mois dans les caves, les bouteilles de champagne sont dégorgées. Cette opération consiste à expulser le dépôt accumulé dans le goulot de la bouteille. Lors de l’opération une petite partie du vin est perdue (environ 1 cl ), il faut alors le remplacer par un volume équivalent de ce que l’on appelle alors une liqueur d’expédition. Cette liqueur est un mariage de vin de réserve (des vins issus des vendanges précédentes) et le plus souvent de sucre de canne. L’ajout de cette liqueur dans le champagne tout juste dégorgée s’appelle le dosage. La quantité de sucre dans ce mélange va ainsi déterminer le type de dosage et donc le type de champagne. Le dosage peut varier de Brut Nature (aucun sucre ajouté) à Doux (très sucré). Connaître la signification du dosage permet d'acheter du champagne en ayant toutes les infos en main.
Le dosage habituel du champagne se situe entre 8 et 12g de sucre par litre, il est celui que l’on retrouve dans les champagnes Brut. Mais la législation a défini une échelle précise permettant de qualifier une cuvée de champagne :
Champagne Brut Nature : désigne un champagne pour lequel aucun dosage n’a été ajouté.
Champagne Extra Brut : entre 0 et 6g de sucre par litre.
Champagne Brut : moins de 12g de sucre par litre.
Champagne Extra Sec : entre 12 et 17g de sucre par litre.
Champagne Sec : entre 17 et 32g de sucre par litre.
Champagne Demi-Sec : 32 à 50g de sucre par litre.
Champagne Doux : plus de 50g de sucre par litre.
Au-delà de la simple fonction visant à remplacer le vin perdu lors du dégorgement, le dosage permet donc d’apporter une touche sucrée au champagne, et un style singulier. Les maisons de champagne garde jalousement secret la recette de leur dosage. Il se murmure que telle maison ajouterait une touche d’armagnac, quand une autre y mettrait une touche de vieux vin vieilli en petits fûts de chêne. Mais le dosage a une autre vertu moins connue. Pour certain vigneron, un dosage important permet d’arrondir et de rendre acceptable un champagne trop acide. Depuis des années le dosage a tendance à être de moins en moins important en Champagne. Du champagne très sucré (champagne sec) que l’on servait au XIXe siècle à l’heure du goûter, et dans lequel certain ajoutait même un morceau de sucre pour donner plus de goût encore, mais aussi pour donner naissance à de nouvelles bulles, on est passé au champagne brut dosé souvent à moins de 8g par litre et à la naissance de nombreuses cuvées nature. Une évolution du dosage qui reflète l’évolution des goûts des consommateurs, mais qui symbolise également les grands progrès réalisés dans la vinification du champagne. Certains vignerons ne proposent leurs champagnes qu’en Extra brut et en Nature.
7.3 Après le Dégorgement
Étanchéité et Repos : Une fois le dosage ajouté, la bouteille est scellée avec un bouchon définitif et une coiffe. Le Champagne est alors laissé au repos plusieurs mois pour que le dosage se mélange parfaitement au vin (6 mois en général). Cette étape est cruciale car elle permet au vin de se stabiliser et d’assimiler la liqueur d’expédition. C’est aussi à ce moment que le vin va commencer à développer de nouveaux arômes, grâce à l’interaction entre le vin et la liqueur d’expédition.
Contrôle de Qualité : Avant la commercialisation, chaque bouteille passe par un contrôle de qualité rigoureux pour s’assurer de sa conformité aux standards de la maison. Ce contrôle peut inclure une dégustation préalable de certains lots, doublée si nécessaire. Il permet de vérifier la qualité du vin, mais aussi de s’assurer que l’étiquetage est conforme à la réglementation. Tous les champagnes à destination de l’étranger doivent être accompagnés d’un certificat d’origine.
Évolution des Arômes : Après le dégorgement, le Champagne continue d’évoluer, développant des arômes plus matures et arrondis, enrichissant son profil gustatif. En fonction des choix de l’élaborateur, le Champagne évolue de façon continue tout au long de son élaboration, au moment du pressurage, de l’assemblage, de la maturation sur lies, du dégorgement, du dosage, du bouchage, et encore au-delà dans les caves champenoises puis chez le consommateur. Après le dégorgement, sous l’effet de l’aération, les arômes de fruits frais (poire, pêche, griotte) évoluent vers les fruits secs, confiturés, confits, puis vers des notes plus oxydatives de noix, compote de pomme, truffe, cerise distillée, et enfin vers des notes de café, chocolat, voire moka.